Quand le jour fait place à la nuit et que la lueur de la lune et des étoiles remplace celle du soleil, les femmes algéroises animaient leurs longues soirées par des retrouvailles organisées au cours desquelles elles savouraient la présence d’une dame âgée en l’écoutant raconter avec un art que seules les vieilles personnes possèdent les histoires des prophètes ou des contes des rois ou des «djenounes» (pluriel de djin).
Tout cela autour d’une «skimpla» (table basse) garnie de thé et de différentes gourmandises (fruit secs, «halaouet El-Tork», figues séchées, etc.) Le mot «bouqala» désigne un vase d’argile en forme de coupe au pied large. Ce récipient constitue l’objet principal du jeu. En effet, on apporte une bouqala qu’on remplit d’eau et dans laquelle on jette un bijou en argent (bague ou bracelet) dans le but d’y attirer un djin. Après quoi, on la fait passer aux femmes désireuses de participer au jeu afin que chacune d’elle y dépose sa fève marquée de façon spécifique à elle pour l’identifier lors du tirage au sort. Les bouqalates sont des petits poèmes porteurs de bons ou de mauvais présages.
Enfin, on couvre la bouqala avec la « chéchia » d’une jeune fille dans laquelle on procède aux fumigations faites à base de benjoin, de henné, de quelques gouttes d’huile d’olive, des effilures de vêtement d’une femme sans mari et de petits bouts de bois prélevés de sept portes différentes, tout en prononçant à l’adresse du djin des incantations.
Avant chaque récitation de bouqala, chaque assistante noue son mouchoir ou son foulard ou même sa ceinture matérialisant ainsi sa pensée pour l’absent auquel elle dédie la bouqala et écoute attentivement la récitation de celle-ci. Sitôt finie, une jeune fille vierge retire au hasard une fève du récipient et désigne de cette façon la femme concernée par la bouqala et toutes les autres interprètent, tour à tour, le présage tel qu’elle l’entendent. Puis, on remet la fève dans le récipient et on répète l’opération plusieurs fois.
Le jeu fini, l’eau de la bouqala est jetée soit sur la terrasse soit dans la rue, au milieu de la nuit quand il n’y a plus de circulation. Si une femme veut voir dans le rêve si un v½u à elle doit se réaliser, elle met une gorgée de cette eau dans la bouche qu’elle crache après la formulation intérieure de son v½u et elle devra voir des signes pendant son sommeil lui révélant si oui ou non il sera exaucé. Si par exemple, elle désire se marier, elle entendra des youyous dans son rêve.
Ce jeu de société existe encore de nos jours mais sous une forme beaucoup moins protocolaire. Il reste toujours apprécié pour son côté mystérieux et poétique.
Voici quelques bouqalates avec leur traduction :
Djayez 3la beb darna yfassel fel 3akri, koltlou : “Fassali 3la kaddi”, kalli : “7atta tji 3andi, nfassalek kat mdahab, ou nzidlek melli 3andi”.
Traduction : Il passait par la porte de notre maison et il composait un caftan de couleur cannelle. Je lui ai dis : “Fait moi une tenue sur mesure”, il me répondit : “Je te ferai un caftan brodé de dorures et je te rajouterai un autre cadeau”.
Kount ki el warda el madbala dja ahbibi ou ghiyer el hala ya khouya, el hob rahou akwani ou adweh rahou achfani.
J’étais comme une fleur fanée mais mon bien-aimé est revenu. Oh! mon frère, l’amour a brûlé mon coeur mais je suis à présent guérie.
Noudou ya naymin! Abnet assaltan djayin fihoum wahda zinet azzin taâachek lahwadjeb wa el aâyn.
Oh les rêveuses, réveillez-vous, les filles du roi arrivent! L’une d’entre elles est une beauté, qui selon le bel homme, est celle qui a de beaux yeux et de jolis sourcils.
Djarti, ya djarti, kalbi 3lik ou 3ini fik, wech na3mel wech nwassi ida bouk makbel biya
Voisine! Ma voisine, mon coeur est pour toi et mes yeux ne voient que toi, que ferai-je si ton père me refuse?
Ana chabba ou mahri ghali, walli yabghi yaddini yahsseb andjoum ou yasshar elyali ou yabnili akssour lâalali wa illa b’gha el ghali andjiblou b’net wa adrari
Je suis la beauté et ma dote est chère. Celui qui me choisira devra me construire des palais… Et si mon bien-aimé accepte mes conditions, je l’honorerai d’une belle descendance.
Nemt ou lamnem ro2ya men 3and Rebi 7mama bida djet 7atet 3liya
J’ai fait un rêve… Et mon rêve était une vraie vision, un pigeon blanc s’est posé sur moi…
Winek ya ghzali, winek ya ghzali 3oudli wa chefeq 3la hali, ghyabek 3bed ou chouqek nar wel 7ayet bla bik ma ta7lali
Oh mon bien-aimé, où es-tu ? Aies pitié de mon état et reviens-moi, ton absence est une souffrance et ton désir me consume, ma vie sans toi ne vaut rien.
Sidi taleb dir fiya amziya, djibli hadek echbab elli mayabghich yakhzor fiya, ana chebba ou zina psah zahri darha biya.
Monsieur le taleb faites-moi plaisir, amenez moi le bel homme qui ne veux poser ses yeux sur moi, je suis jeune et belle mais ma chance m’a trahie.
Essamra! Ya samra, yelli hlouwa ki ettamra, 3ayounek chahla wel sanek djamra !
Oh la brune, la brune, tu es aussi délicieuse qu’une datte. Tes yeux sont de couleur miel et ta langue est telle une flamme!